Pourquoi parler de la foire de Talenne ? Elle fait partie du patrimoine du département voisin de l'Allier. Et on sait que la Loire est encore, administrativement parlant, une frontière souvent étanche ! Ce que l'on sait moins, c'est qu'elle fut jadis bourguignonne.
DANS LA PLAINE DE LOIRE
Talenne, lieu-dit de la commune de Coulanges (1), est situé en terrasse sur la rive gauche de la Loire, au confluent du ruisseau du Pin. La Loire est un fleuve sauvage et fantasque, ayant souvent changé de lit au cours des siècles (2). Là, entre les contreforts du Bourbonnais au sud et les coteaux de Saint-Agnan au nord, s'étend une large plaine alluviale où la Loire peut s'étaler.
Cette situation explique sans doute la présence ici, aux Loges, d'un ancien lieu de traversée de la Loire (3) : un antique gué (que l'on disait pavé autrefois) et un bac, aux Loges. Ils mettaient en communication les itinéraires méridiens venant d'Autun (et peut-être du Beuvray) vers le Bourbonnais et l'Auvergne.
LA FÊTE FORAINE
Longtemps, elle s'est tenue le jeudi qui suit la Nativité Notre-Dame qui est célébrée le 8 septembre. Si, depuis quelques années, elle a beaucoup perdu de ses origines, bien qu'il semble qu'on veuille lui faire retrouver un peu de son passé, c'était surtout une grande fête foraine plutôt qu'une foire.
Tout de suite après la Seconde Guerre Mondiale, c'était encore un gros marché suivi d'une grande fête. Le matin, assez tôt, c'était le marché, puis après, moment réservé à la restauration, et enfin la fête dans toute sa force. Jusqu'à deux "parquets" s'offraient aux danseurs. Foule venue de loin, souvent à vélo, les voitures n'étant pas encore très nombreuses. Pour les gens de tous âges, venus de St-Agnan, La Motte, Les Guerreaux, ... il fallait passer la Loire. Il y avait pour ce fait un passeur. Un câble traversait la rivière le long duquel naviguait le bac. Un très gros travail pour les passeurs qui, eux, n'étaient pas à la fête ! Une foule joyeuse affluait au Port des Loges pour traverser dans une ambiance sympathique.
Lieu de rencontre. Combien de jeunes hommes et jeunes filles se sont connus et aimés au cours de la foire, ou grâce à la foire, sous quelque forme que ce soit...
L'ANCIENNE FOIRE
Paul Chaussard, dans son ouvrage "Images du passé digoinais" (4), évoque cette ancienne foire. Talenne devenait le lieu de rendez-vous du Brionnais, du Bourbonnais et du Charolais. Au XIXème siècle encore, les transactions étaient actives. Des lignes de tentes abritaient restaurants, salles de danse, boutiques diverses. Chevaux et voitures étaient dispersés tout autour. On achetait surtout des melons et des ânes.
Un acte du XIVème siècle en fait mention : un traité, entre « Philippe, fils du roi de France, Duc de Bourgogne, et son très cher et aimé cousin le Duc de Bourbon », datant de l'an 1375, puis reconduit, met fin aux différents entre ces seigneurs et leurs juridictions sur la rivière de Loire et les terres voisines à Talenne, le Péage, etc (5).
Ce texte parle en particulier du Bois de Talenne et de la foire qui a coutume de s'y tenir :
« ... que par avis à délibération y fut faite, néanmoins considéré lesdites informations et pour bien de paix aviser et que les Bois de Talène et la foire qui se tient au Bois et accoutumée de se tenir une fois l'an, c'est asçavoir le dimanche après la nativité Notre-Dame, en septembre, appartient audit seigneur de La Motte (6), sont et demeureront du ressort, souveraineté et baronnie dudit Monseigneur de Bourgogne et nias qu'aucune denrées ne se vendroit le jour de la foire, ou au cours d'icelle et circonstances de ladite foire hors dudit Bois en la justice et souveraineté de Monseigneur de Bourbon en ycelui cas les profits et droits appartenant à ladite foire seront et demeureront audit sieur de La Motte et tous les droits et souveraineté audit seigneur de Bourgogne. Toutefois au cas que sus lesdits profits et droits advenus par l'occasion de ladite foire hors dudit Bois, en la justice et souveraineté de Mondit seigneur du Bourbonnois, aucunes altercations ou contention seroit faitte, toute connaissance d'iceux droits sera ventilée et déterminées par les gens de Mondit seigneur de Bourbon et semblablement toutes exécutions et contraintes si elle y advient sera faitte par Mondit seigneur de Bourbon et ses gens sans ce que aucun fait de justice, aucune chose se fasse par autre que Mondit seigneur de Bourbon et des lieux hors ladite foire et en la justice et souveraineté de Mondit seigneur de Bourbon ... »
Ce traité a été « ... donné à Paray sous le sceau de monsieurs les commissaires dessus dits le 25ème jour de 7bre l'an de grâce 1375 ... Donné à Rouvre, au mois de septembre l'an mil trois cent soixante quinze aux plis desquelles lettres cloit écrit par Monseigneur le Duc de Blançy et scellé de cire rouge aux armes de Bourgogne à double queue ... Donné à Paris au mois d'octobre de l'an de grace 1375... »
Nous retrouvons la continuité de ce traité une centaine d'années plus tard, en 1487, puis vers 1505, 1654, 1707 :
« ... souveraineté et baronie du Dushaume de Bourgogne, la foire qui audit Bois se tient et a accoutumée se tenir, être du ressort, souveraineté et baronie du dushaume de Bourgogne par le moyen du sieur de La Motte... »
LA LOIRE EST FRONTIÈRE
Le traité de 1375 délimitant les juridictions entre Bourgogne et Bourbonnais concerne la rivière de Loire qui devient alors frontière officielle entre les deux duchés :
« ... le Duc de Bourgogne disant icelle être et devoir entièrement des ressorts et souveraineté et baronie du Duché de Bourgogne; les meisseigneurs du Bourbonnois disant le contraire ... et quand aux débats et questions de la rivière de Loire, traitté et accordé entan comm'elle s'étend ou pourra étendre parmi lesdites Chatellenies, fiefs ou ressorts du chastel le Perron, du Donjon et du Pin, c'est asçavoir si elle s'étendoit deçà et delà ladite rivière et comprenoient les deux rives, elle sera et demeurera des ressorts et souveraineté du Duché du Bourbonnois et ez lieux où icelle chatellenie ne s'étendroit qu'à l'une des rives de ladite rivière, icelle rivière sera et demeurera la moitié à diviser par le fil d'icelle; du ressort, souveraineté et baronie du Dushaume de Bourgogne à l'endroit de son terrain et l'autre moitié du ressort, souveraineté et baronie du Dushaume du Bourbonnois et semblablement sera de toutes autres terres et justices étant tant en domaines, fiefs, rièrefiefs et souveraineté dudit Monseigneur Duc du Bourbonnois et semblablement dudit Monseigneur le Duc de Borgogne, sera et demeurera pour le tout comme ladite rivière s'étendra d'une part et d'autre selon le terrain; fiefs, rièrefiefs, ressort ou souveraineté de notre dit seigneur de Bourgogne. Et si la terre ou ressort de Mondit seigneur de Bourgogne en fiefs, domaines, rièrefiefs ou ressort ne s'étendoit que de l'une des parties de la rivière, la moitié tant seulement competeroit à Mondit seigneur de Bourgogne...»
UNE ANCIENNE TERRE BOURGUIGNONNE
La foire de Talenne existait donc bien avant l'année 1375. Quelle en était l'origine ? on ne sait ... Cette foire annuelle remontait très loin dans le passé. Certains auteurs dignes de foi, comme Bulliot, lui attribuent une origine gauloise, comme celles du Mont Beuvray ou de la montagne Saint-Léon, dans l'Allier.
Pourquoi ici ? la présence de la Loire et de son commerce fluvial, des grands itinéraires routiers latéraux au fleuve, des anciens chemins nord-sud de la Bourgogne vers l'Auvergne, en sont sans doute les raisons.
Par ailleurs, toute cette région bourbonnaise était jadis bourguignonne. Le découpage ecclésiastique avait fait que l'évêché d'Autun allait jusqu'à l'Allier. Il avait en fait succédé à l'administration carolingienne qui avait porté les limites de la Bourgogne bien au-delà de la Loire. Les prétentions et les conquêtes de l'Aquitaine (puis de l'Auvergne) avaient petit à petit repoussé la frontière jusqu'au fleuve, mais le duché de Bourgogne s'était encore maintenu, jusqu'au XVème siècle, en terre bourbonnaise. A la fin de l'Ancien Régime, plusieurs paroisses bourbonnaises relevaient encore de Bourgogne : Luneau, Cée, Chassenard. De plus, une partie des paroisses de Digoin et de Saint-Agnan étaient située outre Loire : les Monins, les Lissants, le Péage, ...
(texte de Mme Alluin, publié dans la revue "Echos du Passé)
(1). département de l'Allier.
(2). c'est peut-être pourquoi les villages des Lissants et des Monins, bien qu'outre-Loire, faisaient partie de la paroisse de Saint-Agnan.
(3). P. LAHAYE, Le franchissement de la Loire sur les anciens itinéraires d'Autun à Clermont-Ferrand; in Echos du Passé, n° 32, 1975.
(4). P. CHAUSSARD, Images du Passé Digoinais (nouvelle édition); Génelard, 1996, p. 46.
(5). Archives de l'Allier, série A : "Extraits fixation des limites du Bourbonnais et de la Bourgogne". Un autre exemplaire du traité existe aux Archives de la Cote-d'Or, à Dijon, cote B 1269 et B 282.
(6). Le seigneur de La Motte-Saint-Jean jouira jusqu'à la Révolution des droits et taxes de la foire de Talenne.
*************************************************************
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire