Au
milieu du cimetière de Paray se dresse un étrange monument funéraire. Il m’a
toujours interpellé. Depuis longtemps, j’essaie de connaître un peu plus Regan
MAGRATH qui, selon la formule consacrée, repose en ce lieu depuis 1937, c’est-à-dire hier. Cruelle désillusion,
paradoxe des temps modernes (Internet à l’appui pourtant), il m’a été plus
difficile de trouver des renseignements sur cette personne, qu’en d’autres
circonstances sur des gens vivant à des époques plus reculées. Malchance ?
N’ayant pu aboutir, je vais tout de même vous livrer quelques réflexions,
toutes personnelles, auxquelles je suis parvenu. Peut-être la sagacité d’un lecteur
finira-t-elle par lever le semblant de mystère qui entoure cette tombe?
Tout d’abord, pourquoi s’intéresser à Regan Magrath ? En premier lieu, pour le type de sépulture, rare dans nos contrées charolaises. Il révèle sans doute une personnalité particulière. En second, pour la consonance étrangère. Un sujet anglo-saxon à Paray avant-guerre ? Quelles motivations, quelles circonstances se sont produites pour être inhumée au cimetière de Paray ? Peut-être cette personne était-elle simplement de passage en notre cité de pèlerinages ? Voyons donc tout cela, même si je ne puis affirmer, preuves à l’appui, mes suppositions. Mais…
Un
Amis du Dardon (légèrement déformé par l’Histoire) la décrirait, au premier
coup d’œil, comme « menhir christianisé ». Le monument funéraire se
compose d’un simple bloc de porphyre gris sombre, genre de matériaux extrait à La Chapelle-sous -Dun,
légèrement pyramidal, d’environ un mètre trente de haut avec une base carrée de
cinquante centimètres de côté. Brut d’extraction, la face avant a été aplanie
pour permettre des inscriptions. Inscriptions écrites en biais. Le tout est surmonté d’une petite croix
ajourée en fonte. Cette pierre est érigée en tête de la tombe, tombe délimitée
par un petit entourage de béton, la terre étant apparente sur toute la surface
restante. Aucun nom, signe ou autre particularité ne permet d’identifier le
marbrier ou l’auteur de ce monument funéraire. Et pourtant, quelqu’un l’a bien
réalisé après le décès. Sur les recommandations et les directives de qui ?
Sépulture
très sobre, à orientation religieuse évidente, elle rappelle celles que l’on
trouve dans les villages montagnards, celles des guides ou autres amoureux des
hautes cimes. Cette suggestion se renforce, une fois enlevés les lichens qui
peu à peu ont prit possession des lieux, lorsque l’on découvre un edelweiss
gravé à mi-hauteur. Présence d’une personne ayant plus que côtoyé la montagne,
l’ayant aimée passionnément, jusqu’à la rappeler pour l’éternité ? Ou
alors, symbolisme religieux, le bloc érigé comme une pointe, ne représente-t-il
pas la liaison, croix aidant (médiation), entre
Terre et Ciel ? Je pencherai
volontiers pour une imbrication des deux.
En
dessous, sont gravés, en caractères majuscules, prénom et nom :
« REGAN MAGRATH ». Prénom féminin, et nom très commun en Irlande.
L’Irlande, la religion catholique, tout cela
va très bien… Deux dates suivent : 1849-1937. Années de naissance
et décès sans aucun doute. Un peu plus bas, une croix, très dépouillée, sépare
la partie état-civil profane, de la formule latine « REQUIESCAT IN
PACE » que l’on peut traduire par : « Qu’elle repose en
paix ». Puis, comme pour signifier la fin des inscriptions, on remarque
une étoile.
Arrêtons-nous
quelques instants sur la croix de type latine, en fonte, scellée au sommet du
monument. Très ressemblante aux croix de mission, ou de calvaires, elle allège
le mégalithe. En son centre, à la place du traditionnel Christ en croix, on
remarque un cercle ajouré dans lequel on peut lire JHS (monogramme de Jésus
Sauveur des Hommes). De ce cercle partent quatre faisceaux de rayons flamboyants. A priori aucun autre signe distinctif de
fonderie n’est repérable. Aérienne, elle se découpe magnifiquement sur le fond
de la vieille chapelle Notre-Dame, vestiges de la plus ancienne église de
Paray.
Voilà
donc ce qui apparaît aux yeux du commun des mortels circulant dans cette travée
13 du cimetière de Paray. Pour nous
résumer et ébaucher une base de départ après cette visite : nous sommes en
présence d’une femme d’un âge avancé (quatre-vingt-huit ans), aimant ou ayant
pratiqué la montagne, croyante.
Les
recherches de personnalitÉ en l’État actuel
Première
recherche avec l’état civil : le décès a-t-il eu lieu à Paray ?
L’acte de décès, pièce de
référence, est rédigé en ces
termes :
« Le 8 Mai 1937, à vingt et une heures
est décédée, place du champ de foire à Paray, Regan MAGRATH, de nationalité
anglaise, sans profession, célibataire, domiciliée à Paray. Née à Québec
(Canada) le 17 Juillet 1849, fille des époux défunts Mikaël MAGRATH et Sophia
MAGRATH. Décès déclaré par Marcel Sauvezie, entrepreneur de Pompes Funèbres à
Paray. »
Visiblement,
nous avons affaire à une personne ayant voyagé, (nationalité anglaise, née à
Québec, décédée en France…) Peut-être
une fille d’immigrés anglais en terre canadienne ? Il nous faut sans doute
revoir notre copie de départ question religion. Qui dit nationalité anglaise,
pense catholique anglican. Le dépouillement de la sépulture pourrait le laisser
supposer (pas de culte au cadavre), ainsi que la croix sans représentation du
Christ. Par contre les inscriptions latines inclinent davantage vers une
anglaise de confession catholique romaine. La montagne là dedans ? On voit
le Canada bien sûr, et tous les autres
pays du Commonwealth (Nouvelle-Zélande par exemple), mais aussi la France , car cette personne
n’a peut-être résidé que très peu de temps à Québec, lieu de sa naissance.
Par
contre des certitudes se font jour : Regan Magrath n’est pas une personne
en voyage occasionnel à Paray, mais bien une résidente parodienne, célibataire
« type demoiselle à l’ancienne ». Sans profession, voulant
certainement signifier non retraitée d’une profession classique. Concernant les
parents, deux remarques : il est curieux que le nom de jeune fille de la
mère ne figure pas (peut-être une spécificité anglaise ?). A moins que le patronyme
Magrath fort répandu, comme les Dupont chez nous, laisse présager un mariage de
cousins lointains. De plus, les
prénoms ne sont pas typiquement
« british ».
Pour
avoir une idée de son installation, il restait à compulser les registres de
recensements. Ils sont remis à jour tous les cinq ans, les années en 1 et 6.
Rédigés par rues ou quartiers, pour une ville de cinq mille habitants, leur
lecture demande un certain temps et
engendre lassitude et monotonie. Par contre, des renseignements précieux
y sont consignés puisque les habitants sont répertoriés par personnes vivant
dans le même foyer, par maison, avec profession, âge, et lien de parenté. La
prospection se révéla effectivement fructueuse.
Si
l’acte de décès indique que ce dernier eut lieu « place du champ de
foire » à Paray, les recensements de 1921 à 1936 nous apprennent que
résidait, comme pensionnaire, aux Saints-Anges à Paray (c’est à dire place du champ de foire), une
anglaise dénommée Magrath, née en 1849 à Québec et de nationalité anglaise.
Nous parlons donc bien de la même personne ! Petit bémol : son
prénom, dans chaque recensement, est Mary. Le changement de prénom, peut-être
simple usage courant, n’est pas significatif. Par contre, se posent maintenant
de nouvelles interrogations. Pourquoi l’acte de décès ne fait-il pas figurer
l’adresse complète du lieu? Pourquoi ne trouve-t-on pas comme témoin, la Supérieure religieuse,
Marie Montangerand ? Absente ? Ou d’autres pensionnaires ?
Nous
avons une fourchette imprécise (dix années d’incertitude) sur les dates de
l’arrivée au pensionnat. En effet, l’année 1916 (guerre obligeant) ne vit aucun
recensement. Par contre, en 1911, Regean Magrath ne figure pas sur les listes
des habitants de Paray. Ce que nous sommes certains, c’est que Regan Magrath a
passé au minimum les seize dernières années de sa vie à Paray. Y était-elle
toute l’année ? Voyageait-elle ? A cette époque, il faut savoir que
les recensements concernaient les personnes présentes, en un lieu, à une date
précise de référence, même si cette personne n’était là qu’une journée (cas des
voyageurs).
Pour
la période qui nous intéresse, une douzaine de personnes séjournaient aux Saints-Anges, sans doute à
demeure. Répertoriées sur les fameux recensements, ce sont toutes des dames d’un
certain âge, parfois de nationalités diverses (brésilienne, italienne entre
autres). Regan Magrath ne faisait donc
pas figure d’exception. Entre gens de bonne famille (la pension à l’année révélait une certaine aisance
financière), et de même éducation religieuse, on peut supposer des liens
étroits. Regan Magrath devait côtoyer plus particulièrement certaines dames de
façon journalière.
Concernant
les années 1911 et 1921, on remarque, fréquentant l’institution, une Jeanne
LEPINE, née en 1848 à Mâcon. Et qui était cette Jeanne Lépine ? Tout
bonnement, la secrétaire du Hiéron, l’ancienne secrétaire personnelle du Baron
de Sarrachaga lui-même, puis du commandeur de Noaillat et de son épouse à
compter de 1918, année de la mort du Baron. Elle fut la courroie de
transmission des enseignements très particuliers du Baron, la gardienne des
traditions de la « hiérophanie parodienne » de départ, héritage
doctrinal qu’elle va relayer à partir de 1923 à Paul Le Cour. Elle est l’auteur
d’ouvrages sur Paray. Jeanne Lépine, inhumée au cimetière de Paray, et Marthe
de Noaillat vont mourir accidentellement, asphyxiées par un poêle dans les
sous-sols du Hiéron, un matin de février 1926, malgré l’intervention du Dr
Griveau. A cette occasion, un long article du Réveil, sur plusieurs colonnes de la première page, retraça la vie
et l’œuvre de ces deux personnes (surtout de Marthe de Noaillat).
Depuis
plusieurs années, mes nombreux courriers sont presque tous restés lettres
mortes. Etrangement, Regan Magrath n’a pas laissé de traces. La préfecture, qui
fichait les étrangers, « n’a pas
d’archives » sur cette période. Aux Archives Départementales,
uniquement des statistiques, et lacunaires. Aucune liste nominative n’existe,
alors que pour les Russes arrivés à
compter de 1920, beaucoup de patronymes sont répertoriés.
J’ai
contacté la maison mère des Saints-Anges de Mâcon dont des sœurs encore valides
ont résidé à Paray. Aucune n’a souvenir de cette personne, et je n’ai pu avoir
suite pour des renseignements d’archives privées qui doivent bien cependant
exister sur les pensionnaires de cette époque.
Les
diverses ambassades, anglaise, canadienne et française, « bottent toutes
en touche », ou ne répondent pas. Idem par la voie courrier électronique.
Alors? Regan Magrath une nouvelle Mata
Hari (Lady Mac Leod), ou son syndrome ? Non, pas du tout. Simplement la
difficulté de trouver la bonne personne, au bon moment, d’où cet article
« avis de recherche ».
Sur
le miraculeux Internet, le terme Magrath
laisse apparaître une foultitude de rubriques. Beaucoup renvoient à des sites
irlandais. Et ce nom se révèle tellement
courant, que même dans la liste des passagers des bateaux se rendant au Canada
(liste que l’on peut visionner), il est
bien difficile de s’y retrouver avec certitude.
Les
contacts pris avec des généalogistes canadiens (sans doute pas très motivés)
n’ont débouché sur rien jusqu’à ce jour.
Alors,
faut-il laisser dormir encore un peu le souvenir de Regan Magrath, ou poursuivre la quête de sa vie, à la recherche
de ce parcours atypique supposé au départ ?
Question,
mais surtout réponse, sont désormais entre vos mains, lecteurs, de vos amis et
de vos relations.
« Ce
n’est pas que les morts ne parlent pas, c’est que nous avons perdu l’habitude
de les écouter » (Pasolini).
(ce
texte, signé René Voyard, est un extrait d’un article publié dans la revue
« Echos du Passé » n° 105 de 2008)
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